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En quoi consiste le métier d’acheteur thé ?

 

Dammann Frères organise régulièrement des rencontres avec des blogueurs et journalistes afin d’évoquer les coulisses du thé. Cela permet de rencontrer des professionnels du thé qui sont rarement sur le devant de la scène pour leur poser des questions sur leur métier. L’acheteuse thé Chine et Japon, Marine Sonié était présente. L’occasion d’en savoir plus sur cette profession, mal connue du grand public.

 

DiviniThé : Quel est votre parcours professionnel ? Comment devient-on acheteuse thé ?

 
Marine Sonié : J’ai suivi des études d’ingénieur agronome, avec dans l’idée de partir régulièrement à l’étranger. Et puis, j’ai également une passion pour le thé qui est très ancienne. D’ailleurs,  tous les projets que j’ai réalisés pour l’école étaient en lien avec cette boisson.
Puis, pour mon master d’agronomie tropicale, je suis allée en Australie : un projet de recherche de six mois qui au final a duré presque un an. Le sujet était bien évidemment le thé, plus précisément, l’impact des engrais et du climat sur le taux de caféine et de catéchine dans le thé.

 

DiviniThé : Quelles ont été les conclusions de votre étude ?

 
MS : Plus la croissance des plantes est poussée, plus elles contiennent de caféine et cela a également des conséquences sur la qualité gustative. On observe également une déperdition de la qualité gustative quand il fait très chaud et que la plante pousse trop vite.Les composants aromatiques disposent de moins de temps pour s’accumuler dans les feuilles.
Le goût d’un thé nous renseigne donc sur les conditions climatiques et la façon dont les théiers ont été cultivés.

 

 

Marie, Sonié, acheteuse thés Japon et Chine pour Dammann Frères
Marie, Sonié, acheteuse thés Japon et Chine pour Dammann Frères

 

DiviniThé : Pour en revenir à vos études, vous saviez-vous que vous vouliez travailler dans le thé en suivant ce cursus ?

 

MS : Oui, j’avais dans l’idée de conseiller les agriculteurs. Je souhaitais les aider à définir le meilleur moment pour obtenir une récolte de qualité et également les aider  à évaluer le bénéfice coût pour les quantités d’engrais.
En choisissant ce projet d’étude, j’avais en tête mon envie de travailler dans le thé. Je savais que le milieu du thé est tout petit. Je devais donc vérifier si le thé était juste une passion ou si je pouvais en faire un métier.
Mes études terminées, j’ai contacté Dammann Frères. J’appréciais cette maison en raison de leur transparence sur leur façon de procéder. Il existe des vidéos, disponibles pour le grand public, qui montrent l’usine, la façon dont ils produisent et achètent. J’ai eu la chance que ma candidature les intéresse.

 

DiviniThé : Quelle formation ont en général les acheteurs thés ?

 
MS : Contrairement au domaine du vin, il n’existe pas de formation particulière. Vous pouvez y venir de différentes manières. Mon collègue Emmanuel Jumeau-Lafond, qui est tea-blender et acheteur pour Dammann Frères, a appris le thé tout petit(*). Il a également suivi une formation de commercial.
Une autre collègue a suivi des études d’agronomie, passionnée par le thé elle connaissais bien la Chine. Vous pouvez donc y venir de différentes manières.

 

DiviniThé : Les marchés du thé sur lesquels vous travaillez, Chine et Japon, ont-il des spécificités ?

 
MS : Le thé chinois reste un domaine un peu particulier, la partie spéculation n’existe pas. Une fois le thé produit, il doit être vendu rapidement. Nous comparons donc les différentes offres, le rapport qualité prix. Si un thé devient populaire en Chine, il devient vite très cher. Nous suivons donc les tendances du marché local.

 

DiviniThé : Travaillez-vous directement avec les plantations où passez-vous par des intermédiaires ?

 
MS : Cela dépend où vous achetez. En Chine,ce sont généralement des sociétés privées ou des sociétés dans lesquelles le gouvernement chinois détient des parts.Ces sociétés privées travaillent pour leurs exploitations et parfois avec des distributeurs.
Au Japon, le système est différent. La taille des plantations reste petite, le système s’organise autour de petites coopératives. Les japonais ont également des usines, où ils vont réunir tout le thé pour le manufacturer. Le thé va ensuite être vendu aux enchères par la Japan Agriculture Cooperative.

 

DiviniThé : Et pour le thé d’Inde, comment se passent les achats ?

 
MS : Mon collègue Emmanuel Jumeau-Lafond achète les thés d’Inde et d’Afrique. Il possède un avantage pour ce marché : son père et son grand-père travaillaient déjà avec les producteurs sur place. Quand il va là-bas, il est donc reçut un peu comme un membre de la famille.
Ces marchés reposent sur des systèmes de mises aux enchères. Toutes les semaines, Emmanuel reçoit des cartons contenant les échantillons des thés qui seront mis aux enchères la semaine suivante. Il les goûte afin de déterminer ceux sur lesquels il souhaite miser et pour quel montant.

 

DiviniThé : Allez-vous souvent en Chine et au Japon dans le cadre de vos achats ?

 
MS : J’y vais pour les récoltes. L’an passé j’y suis allée 7 semaines. Fin mars, je serai en Chine pour les premières récoltes. J’y retournerai fin avril-début mai pour voir d’autres récoles. J’irai également au au Japon pour les premières récoltes.

 

 

Osmanthé d'or de Dammann Frères
Osmanthe d’or de Dammann Frères

 

 

 

DiviniThé : Quelle est la semaine type d’un acheteur thé ?

 
MS : Le travail diffère selon si  suis au siège de Dammann Frères où en déplacement.

 

Au siège je déguste de nombreux lots proposés par nos contacts.
Pour les thés que nous voulons acheter nous effectuons plusieurs analyses. Une première à la sélection, puis nous demandons un second échantillon. Il peut être prélevé dans différents sacs du thé, afin que le lot soit représentatif. Nous le goûtons de nouveau afin de vérifier que ce soit exactement ce que nous avions sélectionné. Nous examinons également la qualité des feuilles pour s’assurer qu’elles n’aient pas été abîmées pendant le voyage
Après, nous organisons l’importation.

 

Chez Dammann, je travaille également avec Aline Guglielmino-Taillefer (l’aromaticienne maison). Je lui indique les bases de thés disponibles pour réaliser des thés aromatisés.

 

En voyage, ma semaine est consacrée à des dégustations, des visites de plantations, de manufactures. Chaque usine est différente, selon ce que les producteurs cherchent à faire comme thé. J’en discute donc pour comprendre quelle est la tendance de l’année, si c’est une bonne année pour eux ou non.
Je passe également pas mal de temps à expliquer aux producteurs ce que nous recherchons comme thés. Chaque société a ses particularités : un Keemun peut être très différent d’une société à l’autre et ne pas valoir la même chose.

 

DiviniThé :  Lorsque vous sélectionnez thés nature, essayez-vous de vous adapter au palais français ?

 
MS : Le palais français n’a pas d’apriori sur le thé. Notre historique du thé reste moins long que celui des anglais, nous avons donc moins d’habitudes de dégustations. C’est pour cela qu’en France actuellement, les thés verts se développent bien ainsi que le thé blanc et les oolongs.

 

 

Dammann Frères : feuilles du thé Jardin du Luxembourg
Dammann Frères : feuilles du thé Jardin du Luxembourg

 

 

Le palais français cherche une typicité en termes de goût et d’arômes. Il n’aime pas trop l’astringence et l’amertume, il recherche des goûts assez délicats. Grâce à la culture du vin nous sommes habitués aux tannins et nous savons donc apprécier une longueur en bouche dans un thé.
Les français cherchent à connaitre le produit, la façon dont il a été récolté, d’où il vient, etc. C’est intéressant pour nous, car nous pouvons proposer des thés très divers à nos clients.
D’ailleurs, nous exportons à l’étranger le goût français pour le thé.

 

DiviniThé :  Quelle est la partie de votre métier d’acheteuse thé que vous préférez ?

 
MS : Celle où nous dégustons les thés autour d’une table avec les producteurs car ils sont très ouverts. Ils discutent de leur famille, de leur histoire et nous posent des questions sur notre pays, nos habitudes. Nous nous sentons vraiment comme des invités, dans ces moments nous dépassons le cadre des affaires pour créer un autre lien.

(*) Depuis 1949, Dammann est une histoire de famille. Jean Jumeau-Lafond et son frère reprennent la société qu’ils laisseront à la génération suivante : à Didier et Jacques Jumeau-Lafond. Emmanuel  est le fils de Jacques Jumeau-Lafond.

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